Elle lisait un livre emprunté dans les rayonnages de la librairie , j'avais rejoint un collègue rencontré au hasard d'une allée . Au fur et à mesure qu'elle tournait les pages , elle montrait des signes d'impatience , elle attendait une personne qui semblait la faire languir .
Je m'installais dans le confort de mon siège , j'écoutais mon collègue qui avait raté des tables de bistrot dans une salle d'enchères , je lui montrais un livre que j'avais choisit en lisant la quatrième de couverture .
Et puis l'homme attendu est arrivé , il prit une chaise qu'il colla aux accoudoirs de la mienne .
Je me concentrais sur la bonne affaire que mon collègue avait fait la veille , les voix de nos voisins empiétaient de plus en plus sur notre conversation , l'homme sortait d'un cabinet de psychiatre et racontait sa consultation . Nous plongions malgré nous dans l'intimité des révélations que l'homme faisait , la femme en face de moi s'agitait de gêne et tentait de capter mon regard .
Dans un élan d'évitement je proposais à mon collègue d'aller chercher un thé , il me suivit aussitôt et puis nous avons repris nos places .
Je grignotais mon muffins , mon collègue versa le sachet de sucre dans son thé , l'échange entre nos voisins s'intensifiait , nous ne pouvions échapper à l'homme qui venait d'avoir l'accord de son psychiatre pour devenir femme . Son interlocutrice s'agitait sur sa chaise et finit par se tourner vers nous , j'essayais de fuir cette invitation implicite mais elle insistait pour nous introduire dans leur histoire . L'homme était heureux de cette nouvelle , il parlait presque comme un enfant , se posait des questions naïves devant l'aventure tant espérée qui l'attendait . La femme lui demanda si maintenant il allait draguer des hommes , il lui répondit qu'il n'y avait pas encore pensé mais que c'était évident et lui retourna sa question en lui demandant si elle n'avait jamais pensé à aimer des femmes . Et devant la figure interloquée de la femme , je ne pus réfréner un éclat de rire d'abord timide , nerveux et puis franc quand je rencontrais les yeux de ma voisine .
Je compris qu'elle avait besoin d'alliés dans cette conversation difficile . Et mon collègue et moi avons cédé à sa sollicitation . L'homme ne fut pas gêné , il aurait volontiers annoncé à tue-tête la décision qui allait changer le cours de sa vie . Il brandissait son ordonnance comme un précieux trophée et me dit dans un sourire de bonheur qu'enfin il allait pouvoir commencer les hormones .
La femme nous demanda si nous n'étions pas choqués comme pour apaiser le malaise qui l'envahissait . Malgré toute la tolérance que nous avions , les questions se multipliaient entre fascination et inquiétude . L'homme ne nous écoutait plus , il rêvait de ses seins qui allaient grossir , il avait déjà les cheveux longs , bouclés et joliment coiffés . Quand il commença à ranger ses papiers je remarquais ses ongles longs , manucurés à la française , je les enviais presque moi qui les avais très courts , qui ne leur prêtais guère d'attention .
Malgré lui , il m'amenait à me souvenir que mon père aurait voulu que je sois un garçon , souvent il me traitait comme tel , je l'aidais à déplacer les meubles , il m'initiait au bricolage mais je ne me souviens jamais avoir eut envie d'un pénis .
Quelle souffrance ce doit être de se sentir dans le mauvais corps !
J'aurais volontiers poursuivit cette conversation , qu'il me raconte son cheminement , une autre femme est arrivée , il était temps que nous nous effacions de cette histoire .
4 commentaires:
quelle curieuse rencontre tu as faite là Matinou...
Une chose est de lire ou d'écouter à la radio le témoignage d'une personne qui a changé de sexe, une autre est de cueillir sur le vif les mots prononcés juste à côté de soi...
(contente de te revoir ici...)
Bonsoir Coumarine , en même temps que je t'écrivais , tu étais ici ...
Ce n'était pas évident de partager malgré moi ses confidences et en même temps c'était passionnant et tu as raison bien loin du reportage , j'aurais pu aborder mon article sous cet angle aussi ...
Je t'embrasse
Matinou
Oh, mon père aussi, aurait voulu que je sois un garçon... tu sais écrire, on voit ce que tu dis
Bonsoir julie , merci pour vos compliments .
Matinou
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