mardi 17 février 2009

L'homme qui sera femme

Elle lisait un livre emprunté dans les rayonnages de la librairie , j'avais rejoint un collègue rencontré au hasard d'une allée . Au fur et à mesure qu'elle tournait les pages , elle montrait des signes d'impatience , elle attendait une personne qui semblait la faire languir .
Je m'installais dans le confort de mon siège , j'écoutais mon collègue qui avait raté des tables de bistrot dans une salle d'enchères , je lui montrais un livre que j'avais choisit en lisant la quatrième de couverture .
Et puis l'homme attendu est arrivé , il prit une chaise qu'il colla aux accoudoirs de la mienne .
Je me concentrais sur la bonne affaire que mon collègue avait fait la veille , les voix de nos voisins empiétaient de plus en plus sur notre conversation , l'homme sortait d'un cabinet de psychiatre et racontait sa consultation . Nous plongions malgré nous dans l'intimité des révélations que l'homme faisait , la femme en face de moi s'agitait de gêne et tentait de capter mon regard .
Dans un élan d'évitement je proposais à mon collègue d'aller chercher un thé , il me suivit aussitôt et puis nous avons repris nos places .
Je grignotais mon muffins , mon collègue versa le sachet de sucre dans son thé , l'échange entre nos voisins s'intensifiait , nous ne pouvions échapper à l'homme qui venait d'avoir l'accord de son psychiatre pour devenir femme . Son interlocutrice s'agitait sur sa chaise et finit par se tourner vers nous , j'essayais de fuir cette invitation implicite mais elle insistait pour nous introduire dans leur histoire . L'homme était heureux de cette nouvelle , il parlait presque comme un enfant , se posait des questions naïves devant l'aventure tant espérée qui l'attendait . La femme lui demanda si maintenant il allait draguer des hommes , il lui répondit qu'il n'y avait pas encore pensé mais que c'était évident et lui retourna sa question en lui demandant si elle n'avait jamais pensé à aimer des femmes . Et devant la figure interloquée de la femme , je ne pus réfréner un éclat de rire d'abord timide , nerveux et puis franc quand je rencontrais les yeux de ma voisine .
Je compris qu'elle avait besoin d'alliés dans cette conversation difficile . Et mon collègue et moi avons cédé à sa sollicitation . L'homme ne fut pas gêné , il aurait volontiers annoncé à tue-tête la décision qui allait changer le cours de sa vie . Il brandissait son ordonnance comme un précieux trophée et me dit dans un sourire de bonheur qu'enfin il allait pouvoir commencer les hormones .
La femme nous demanda si nous n'étions pas choqués comme pour apaiser le malaise qui l'envahissait . Malgré toute la tolérance que nous avions , les questions se multipliaient entre fascination et inquiétude . L'homme ne nous écoutait plus , il rêvait de ses seins qui allaient grossir , il avait déjà les cheveux longs , bouclés et joliment coiffés . Quand il commença à ranger ses papiers je remarquais ses ongles longs , manucurés à la française , je les enviais presque moi qui les avais très courts , qui ne leur prêtais guère d'attention .
Malgré lui , il m'amenait à me souvenir que mon père aurait voulu que je sois un garçon , souvent il me traitait comme tel , je l'aidais à déplacer les meubles , il m'initiait au bricolage mais je ne me souviens jamais avoir eut envie d'un pénis .
Quelle souffrance ce doit être de se sentir dans le mauvais corps !
J'aurais volontiers poursuivit cette conversation , qu'il me raconte son cheminement , une autre femme est arrivée , il était temps que nous nous effacions de cette histoire .

4 commentaires:

Anonyme a dit…

quelle curieuse rencontre tu as faite là Matinou...
Une chose est de lire ou d'écouter à la radio le témoignage d'une personne qui a changé de sexe, une autre est de cueillir sur le vif les mots prononcés juste à côté de soi...
(contente de te revoir ici...)

MaTinou a dit…

Bonsoir Coumarine , en même temps que je t'écrivais , tu étais ici ...
Ce n'était pas évident de partager malgré moi ses confidences et en même temps c'était passionnant et tu as raison bien loin du reportage , j'aurais pu aborder mon article sous cet angle aussi ...
Je t'embrasse
Matinou

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit…

Oh, mon père aussi, aurait voulu que je sois un garçon... tu sais écrire, on voit ce que tu dis

MaTinou a dit…

Bonsoir julie , merci pour vos compliments .
Matinou